Cyclone à la Jamaïque

de Mackendrick Alexander

avec Anthony Quinn, James Coburn, Dennis Price

USA - 1965 - 1H48 - VOSTF

  • Jeune public · À partir de 11 ans
Dans le cadre d'École et cinéma

XIXe siècle. A la suite d’un terrible cyclone qui s’est abattu sur la Jamaïque, un couple de planteurs anglais décide de mettre ses enfants à l’abri en les envoyant par bateau en Angleterre. Mais leur navire est attaqué par des pirates qui, sans le savoir, embarquent les enfants avec le butin. Chavez, le chef des pirates, les prend sous sa protection et instaure avec eux une relation ambiguë, à l'image de la tendresse coupable que lui inspire la fille aînée. Sur terre, la rumeur court que les enfants ont péri dans l’abordage. La flotte anglaise décide alors de se lancer à la poursuite des pirates...

« Humour et rébellion à babord ! Pirates et aventures maritimes : voilà des ingrédients clefs qui permettent d’associer facilement un film à l’étiquette « aventures » ou encore « film de pirates ». Mais quand Alexander Mackendrick est à la barre, une veine satirique pousse le film vers d’autres horizons. Avec Cyclone à la Jamaïque, le film de genre est bien présent : ailleurs lointain habité par une famille de colons anglais en quête d’exotisme, figures de pirates, décors de bateau, navigation en mer rendue dangereuse par une météo incertaine, confrontations et dangers divers… L’aventure, c’est l’aventure ! Mais la présence d’enfants sur le navire et surtout la rencontre entre le capitaine Chavez et la jeune Emily donnent à ces ingrédients d’autres enjeux. Dans Cyclone, il ne faut pas non plus prendre les répliques au premier degré et encore moins les personnages pour ceux que l’on croit ! Ici, les enfants sont les pirates, et les pirates de grands enfants. Dès l’entrée des pirates dans le cadre, ceux-ci n’apparaissent pas comme des figures effrayantes : c’est en effet travestis en femmes que les pirates abordent le navire où ont embarqué Emily et ses frères et sœurs ! Quelques séquences plus loin, alors que les pirates martyrisent un petit singe qu’ils forcent à boire de l’alcool, les enfants les observent d’un regard méprisant qui condamne la cruauté de leur jeu. Lorsque Chavez lance à Zac, son fidèle co-équipier, « un bateau est la meilleure des nurseries », la phrase revêt alors à la fois une valeur ironique et une dimension prémonitoire. Car si les enfants occupent autant le cadre à l’image qu’ils sont au centre des préoccupations des pirates, ce sont eux qui vont prendre le dessus sur les pirates. Observez le regard de Chavez, le plus souvent baissé, à la fois gêné et honteux de son statut de pirate face à une Emily le plus souvent amusée et lucide ! L’équipage, superstitieux, a d’ailleurs peur des enfants, car des enfants sur un navire portent malheur ! Fausses funérailles en mer, simulacre d’abordage et de tempête, les jeux des enfants font peur aux pirates. Un bateau, c’est sérieux ! Même si Chavez et Zac essaient de raisonner leur équipage, les superstitions sont tenaces, et l’équipage se tient à distance des enfants, en même temps qu’ils cherchent à s’en débarrasser. La place singulière des enfants par rapport aux pirates n’est d’ailleurs qu’une répétition de ce qu’ils sont déjà aux yeux de leurs propres parents au tout début du film, « des petits anglais pas comme les autres », que « l’île transforme en sauvages », comme le lance leur mère, désespérée. Au-delà du film d’aventures, le film nous invite à une réflexion fine et transgressive sur l’apprentissage et la civilisation, ainsi que sur les relations adultes/enfants. Dans cette perspective, on peut lire le travestissement initial des pirates comme la métaphore des rapports inversés enfants/adultes. Le réalisateur est par ailleurs surtout connu pour ses comédies. Les pirates ne ressemblent tellement pas à des pirates que lorsque l’un des enfants lance avec provocation « est-ce que ces gens sont des pirates ? », Emily répond que non, en soulignant qu’ils ont dû entendre « pirates » à la place de « pilotes » ! Pourtant, plus loin dans le film, le même personnage affirmera fièrement qu’il s’agit bien de « pirates », comme pour prouver à tous qu’elle a su leur résister. Car ce qui se joue sur le navire pour les enfants, c’est un vrai apprentissage dont la fin du film dévoilera toute la cruauté. Chavez occupe alors la place d’un père pour la jeune Emily, un père… dont on peut aussi tomber amoureux ! La musique romantique qui accompagne la scène de rencontre entre Emily et Chavez donne d’ailleurs à celle-ci une dimension amoureuse. Le réalisateur Alexander Mackendrick, connu surtout pour ses satires et comédies, pose un regard grinçant sur les relations humaines pour apporter une dimension transgressive au film : qui apprend et qui éduque ? Qui est l’enfant et qui est l’adulte ? Alors quand Chavez lance aux enfants « Vous vous croyez où ? Vous êtes sur un vrai bateau ! », c’est avec désespoir, comme pour reconquérir son autorité, mais on peut aussi, pourquoi pas, imaginer Chavez comme un double du réalisateur, qui s’amuserait de sa propre (re)création. Cyclone à la Jamaïque est un film atypique à voir absolument ! » Benshi