Le Voyeur

de Powell Michael

avec Karlheinz Böhm, Moira Shearer, Anna Massey

Grande-Bretagne - 1960 - 1H41 - VOSTF

Mark Lewis est un jeune homme énigmatique et solitaire, passionné d'image jusqu'à l'obsession. Opérateur-caméra dans un studio de cinéma, il fait aussi des extras comme photographe de charme dans la boutique d'un marchand de journaux. Son appartement est un immense laboratoire rempli de matériels, d'appareils, de chimie. Là, il développe et visionne seul ses propres films à longueur de temps. La caméra toujours à portée de main, Mark Lewis dit tourner un documentaire mais il s'emploie en réalité à une démarche bien plus morbide: il traque la peur de la mort dans le visage de jeunes femmes…

« Coup du destin, Le Voyeur (titré en anglais par l’expression Peeping Tom) sort à Londres à quelques mois d’intervalle d’un autre film d’épouvante pénétrant la psyché d’un tueur de femmes, réalisé par un autre cinéaste britannique : Pyschose. Si la postérité a depuis réinstallé au film de Powell une place prestigieuse dans l’histoire du cinéma, Le Voyeur est à sa sortie un échec cuisant, une œuvre mal-aimée qui provoque l’indignation des spectateurs – le film d’Hitchcock sera lui dès sa première projection un immense succès public et critique. En plus de son sujet déjà particulièrement transgressif pour l’époque, Le Voyeur est le premier film britannique à proposer une nudité frontale à l’image. Une partie de la critique anglaise accuse le film de Powell d’être une « offense faite à la nation » tandis que d’autres journalistes en demandent carrément l’interdiction immédiate. Ce vœu est exaucé par le distributeur du film qui le retire de l’affiche une semaine seulement après sa sortie. La filmographie jusqu’ici saluée du cinéaste anglais est soudainement entachée d’une œuvre scandaleuse qui marquera le début du déclin de sa carrière. Ce qui différencie de manière assez flagrante les deux œuvres, et pourrait expliquer la révulsion quasi-unanime des spectateurs et de la presse de l’époque (en France, Positif est une des seules revues à défendre le film), c’est le dispositif d’identification volontairement provocant, que Powell confère au tueur. Tandis que la caméra d’Hitchcock, dissèque minutieusement cette allégorie du mal qu’est Norman Bates tout en émettant une distance analytique avec le psychopathe, Powell nous injecte dans la peau, les yeux mais aussi les sentiments du tueur à la caméra (le film est également un drame amoureux très touchant), entraînant un sentiment d’empathie inavouable pour le spectateur. Ce dernier n’est plus un simple voyeur mais devient complice des crimes commis par Mark Lewis. C’est en cela que Le Voyeur est un grand film sur l’éthique du regard et propose une réflexion puissante sur le cinéma et notre consommation des images. La figure du tueur n’est ici qu’un miroir déformant de celle du metteur en scène qui traque avec obsession le moment de vérité d’un acteur pour s’en emparer par l’image, vampirisant ainsi son âme. Munie d’un bout tranchant sur l’un des segments du trépied du tueur, c’est la caméra elle-même qui devient l’instrument de mise à mort. Le tueur, le réalisateur ou le spectateur… on ne sait alors plus très bien qui est le voyeur mentionné par le titre. » Les Inrocks