Val Abraham
avec Luís Miguel Cintra, Leonor Silveira, Cecile Sanz de Alba
Portugal - 1993 - 3H23 - VOSTF
Dans la région du Douro, Ema grandit avec son père dans une atmosphère de grande sensibilité poétique. Séduisante et innocente, elle développe un goût irrésistible pour les fictions romantiques mais ne trouve jamais de satisfaction avec les hommes. Devenue femme, elle épouse un médecin qu’elle n’aime pas, avec qui elle déménage dans la vallée d’Abraham. Menant une vie mondaine, Ema connaîtra trois amants dans une constante recherche de passion, de luxe et de défis.
« De Paul Claudel (Le Soulier de Satin) à Faust (Le Couvent), en passant par Madame de La Fayette (La Lettre) et les grands romanciers portugais modernes – Camilo Castelo Branco (Amour de perdition) et Agustina Bessa-Luís (Francisca) en tête –, l’œuvre de Manoel de Oliveira a très régulièrement fait dialoguer le cinéma avec la littérature. Avec Val Abraham, le maître portugais se confronte de manière indirecte à Madame Bovary, en adaptant un roman d’Agustina Bessa-Luís qui transpose l’œuvre de Flaubert dans le Portugal des années 1970. On y suit la trajectoire d’Ema, entre sa rencontre avec le docteur Carlos de Paiva à l’âge de 14 ans, leur mariage quelques années plus tard et l’ennui de la vie conjugale, qu’elle tente de dissiper en multipliant les adultères. La grande réussite de Val Abraham tient à son travail sur la matière romanesque via la voix-off, présente tout au long du film. La prose d’Agustina Bessa-Luís est portée par la parole d’un narrateur omniscient, qui ne se contente pas simplement de faire avancer l’action en comblant les ellipses : il lui arrive aussi de préciser les émotions et pensées des personnages, de s’immiscer entre les répliques pour commenter en incise l’intonation des voix (au début du film, une réplique de l’épouse de Carlos est ainsi accompagnée d’un « pensa-t-elle avec la lucidité d’un condamné à mort »), de se lancer dans des digressions philosophiques ou même de faire parler les photos des ancêtres d’Ema. Au-delà des sentiments exacerbés qu’il dépeint, la dimension proprement romanesque du film réside dès lors dans sa manière d’embrasser la richesse textuelle propre à la forme même du roman, cette « diversité littérairement organisée » qu’appelait Bakhtine, composée de différents modes de discours hétérogènes (narration, digression, description, discours rapporté, etc.). » Critikat